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Tuesday, February 24, 2009

HAPPY TUESDAY! HAPPY READING!



PUISQUE L'ECHEC EST MAT

Par Mouss Benia

On a bien cru que c’était mai 68 qui recommençait façon Beyrouth. Après la révolte estudiantine, c’était au tour des cancres et des déscolarisés prématurément de faire du bruit. Ils n’avaient pas à descendre dans la rue, ils y étaient déjà. Comme d’habitude, depuis mon exil dans une chambre de bonne en centre-ville, j’ai suivi l’actualité de ma lucarne hertzienne. Les halls d’escalier, pour moi, c’étaient des potes tout frisés et l’apparition du chômage de masse dans les années 1980. Pas des gosses de 14 ans, biberonnés aux clips MTV, qui lâchent dix minutes la Playstation pour aller brûler la Renault 19 du voisin.
« C’est Sarkozy la caillera, nous on est tranquilles t’as vu et lui il vient nous insulter. » Sur la première chaîne, deux adolescents au visage dissimulé par une écharpe braillent face à la caméra : « La banlieue c’est le ghetto… on s’occupe pas de nous, quoi, y’a rien à faire ici quoi c’est mort, c’est la guerre… » « Qu’est-ce que vous voulez alors ? » demande le journaliste. « J’sais pas moi ! » Le son de sa voix se fait d’un coup hésitant. « Qu’ils fassent des terrains de foot… » Bravo mec : ta montagne a encore accouché d’une souris.
« Des terrains de foot ». Combien de fois j’ai entendu cette revendication en carton ? La formule semblait empruntée aux grands frères de l’époque « Touche pas à mon pote », quand ils demandaient naïvement au 20 heures des aires de jeux, en échange de la paix sociale. En retour, ils ont eu droit à un miroir défigurant où l’idiotie crève l’écran. J’avais l’impression de voir la caricature d’une caricature en regardant ces deux jeunes gens assis sur un banc, essayant de s’exprimer pour la télé, tout en balançant des gestes de rappeur pour intimider le cadreur, avec les flammes de voitures incendiées en guise de projecteurs.
De l’autre côté, en duplex sur le plateau, il n’y avait que des blancs-becs sociologues et autres intellos prêts à commenter la situation. Le sujet est sérieux et nous assistons maintenant à un cours de français. « La République ne doit pas faire de discriminations entre ses propres citoyens », dit l’un en écharpe rouge. « On assiste là à une colère des humiliés de la société », lui répond l’autre en velours côtelé. Rien à dire : les phrases sont claires et compréhensibles par tous, construites selon les règles du Bescherelle.
Au rang des invités, surtout pas de Mohamed s’exprimant avec aisance dans la langue de Molière pour déballer son cursus scolaire : la ménagère ne comprendrait pas le décalage entre les images de sauvageons et la présence d’un érudit métèque sur le plateau. Et puis il risquerait de donner des idées à ses petits frères. Ils ont beau être descendants d’Avicenne, ce n’est pas ce qui les fera inviter à la télé, et puis un Arabe qui parle français plus que parfait, cela semblerait arrogant. Ou louche.
« Que Sarkozy aille traiter les Corses comme il nous traite ! » a dit un ancien de la cité en passant devant la caméra. T’as raison mon pote, les musulmans ou banlieusards, comme tu veux, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, sont de vrais paillassons. On peut utiliser les images et le vocabulaire que l’on souhaite pour parler d’eux dans les média, il n’y a personne pour relever, la majorité travaille à l’usine, et la pincée de « robeux » branchés qui ont pu s’échapper de la cage d’escalier pour intégrer un strapontin dans une quelconque rédaction, se désolidarisent afin d’éviter l’amalgame, de ne pas attirer les regards et risquer de perdre leur place. Ma cité va craquer, qu’est-ce que j’en ai à foutre, je n’y habite plus.
Mais je ne vais quand même pas me taper les chaînes arabes de la parabole pour enfin trouver des gens dotés de cerveaux à qui je ressemble, des journalistes qui élèveraient ma pensée. Le petit Français natif des terres du Roi-Soleil que je suis ne comprend pas leur arabe. Une bonne raison de rester calé sur nos vieilles chaînes nationales.
Je zappe et je mate comme dirait le chansonnier. Dans nos banlieues on tend à croire que l’échec est mat. Tiens, la présentatrice annonce un sujet sur un jeune chef d’entreprise français, d’origine marocaine, qui a réussi à changer de sphère sociale, à force de travail. « Un exemple de jeune, dit la présentatrice, qui a su se fondre dans le paysage français en montant un commerce d’importation de babouches. » Et comme chez nous tout finit par un thé à la menthe, à la fin du reportage, la mère de l’heureux patron, portant un couvre-chef, remplit le verre du cameraman. Ah ! la belle hospitalité orientale ! Merci pour le symbole. Imaginez un instant que chaque image d’un chef d’entreprise français comme Dassault ou Pinault se termine par un coup de jaja avec en musique de fond un p’tit tour d’accordéon !
Que dire ? Si j’en crois Paco Rabanne, on ne vit que trois fois, et moi j’aimerais quand même exister un jour. Le problème, c’est que je ne me vois pas monter une usine de tchadors, ni me faire humilier à la Sar Ac. Alors quand je vois les deux gamins décervelés qui jouent les stars du Jité, une petite voix me dit qu’ils ont trouvé le moyen de gagner leur quart d’heure de célébrité. Et pourquoi pas passer sur le plateau de PPDA ? C’est décidé, demain je brûle une voiture.

retrouvez Mouss Benia sur son site.

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