Photobucket GRAND PANDA

Tuesday, February 10, 2009

HAPPY TUESDAY! HAPPY READING!



Nous avons décidé d'inviter l'écrivain Mouss Benia (PANNE DE SENS, CHIEN DE LA CASSE) sur notre blog pour une série d'articles que vous pouvez lire également sur son site.

MA VIE EST UN BIDE

J'y croyais à peine. Mon cerveau de cancre avait pondu un roman. Après des mois de travail et quelques semaines de corrections, avec l'aide de mon éditeur, l'objet tellement attendu était enfin entre mes mains. « Ecoute Mouss, ce livre c'est l'anti-roman de banlieue… », m'a-t-il averti. Moi qui pensais avoir écrit la vie d'un Français ordinaire, je me retrouve estampillé « banlieue » ou « anti-banlieue ».

Si, pour l'ancienne génération le nom de mes parents était synonyme de loukoums, de jasmin et autre faune du désert, aujourd'hui mon pedigree évoque plutôt les rodéos sur les parkings, l'odeur du soufre et des cocktails Molotov. Une taxinomie inévitable au pays des Lumières. La date était fixée par l'éditeur. Je jouerai la rentrée littéraire, avec les grands. Même pas peur.

« Ce roman est génial ! », me félicite l'attachée de presse. Avant d'ajouter : « Excuse-moi d'être indiscrète mais c'est autobiographique ? En tout cas je te souhaite bonne chance pour cette rentrée. »

Elle ne croyait pas si bien dire. À peine envoyé à la presse, un journaliste me propose un portrait dans Le Monde. Jackpot. Elle n'en revenait pas : « Ne déconne pas, Mouss. Faut assurer ! C'est la chance de ta vie, ce papier sera une rampe de lancement pour le bouquin. C'est génial ! » .

D'un naturel méfiant, je prend garde aux rampes, à peine glissante ou mal orientée et c'est dans les décors qu'elle te lance. Mais d'après l'attachée de presse, « ça devrait le faire ». Il ne manquait plus qu'elle me balance un « check » et la caricature aurait été parfaite. Yo !

La date de la rencontre est fixée à la semaine d'après. « Appelons nous la veille pour fixer le lieu de rendez-vous », m'a proposé le journaliste. Pas de problème, lui ai-je répondu, d'un air faussement détaché. Grâce à lui, ma vie allait enfin changer et mon compte en banque se rhabiller.

Finie la galère de smicard, et les petits boulots éreintants, dans quelques jours la France entière découvrirait ma tête de colis piégé. Je serais désormais écrivain et je raconterais mes histoires de bitume : j'en ai plein ma besace.

J'espère seulement ne pas passer pour une bête de cirque. Genre : regardez, il a troqué son briquet d'émeutier pour un stylo.

Mon frère m'encourage à sa manière : « Le Monde, c'est un journal d'intello, surtout quand tu parleras au journaliste, prends soin de bien faire des fautes de français pour bien coller à l'image du banlieusard. Sinon il te trouvera arrogant et pas authentique et il passera à autre chose… »

Je me demande de quelle authenticité il voulait parler. D'après lui, il est préférable de paraître dans la presse people. « Aujourd'hui c'est ça qui fait vendre mon pote ! » Ok, si ça ne marche pas, je me rase le crâne et conduis ma voiture sans culotte, coursé par des paparazzis, mais je crains que mes fesses ne rivalisent avec celles plus douces de Britney Spears.

La longue semaine passe péniblement. Comme un boxeur à la veille d'un combat, je me concentre à être efficace le jour J. S'il me questionne sur mon prochain ouvrage, je lui baratinerai et balancerai un titre en teaser : « Le virage de la vie d'un pauvre type ». Sans en dire plus.

Je suis tellement heureux que je pris tous les dieux : Allah, Krishna, Yahve et tous les autres. À croire que mes prières sont entendues, l'attachée de presse m'appelle et m'annonce que mon livre est choisi pour la première sélection du Prix de Flore. Banco, j'ai la baraka. Merci mon Dieu même pour ce que tu ne m'as pas donné.

Je ne connais pas la valeur de ce prix, ni ce que cela signifie mais je saute de joie et redescend aussi sec à l'appel du journaliste du Monde. Il est dans l'obligation de décaler son rendez-vous pour cause de surcharge de travail. Le fameux rendez-vous a été tellement décalé qu'il s'est perdu dans le temps. Une semaine plus tard, il était annulé. La sanction est tombée comme un couperet.

Je ne me laisse pas abattre et appelle mon éditeur. Mon espoir repose maintenant sur ce fameux Prix de Flore. Ce sera peut-être l'occasion de faire un gros papier plus tard. « Ne te fais pas d'illusion pour rien, Mouss. Je les connais, ils ne le donneront jamais pour un livre comme le tien. Faut pas rêver… ».

Je me suis alors revu môme, foncer sur mon grand frère et lui arracher les yeux parce qu'il m'annonçait que le Père Noël n'existait pas. Je retiens mon agressivité d'une courte bride et m'arme de patience. La chance va tourner, un papier va finir par paraître ou mieux encore une invitation sur un plateau télé. Je suis prêt pour le show.

L'attachée de presse que je harcèle de mail, fait la morte. Je sens la promo m'échapper jusqu'à l'appel d'un journaliste, ami de mon éditeur, qui me propose de poser pour un magasine féminin dans le cadre d'un dossier sur les « Tribus d'artistes ». J'aurais préféré une place chez Durant ou PPDA. Mais bon, je me ferais tirer le portrait au côté d'un rappeur et d'un slameur. Cool ! Me voilà renvoyé à mon ghetto. « C'est mieux que rien… », me dit l'attaché de presse à peine au courant. « Pour la télé, oublie : la banlieue n'est plus à la mode. » Je ne savais pas que ma vie fut un jour à la mode. Je joue le jeu. Ayant appris que je pratiquais la boxe, le rédacteur en chef du magazine me rappelle pour me demander si je pouvais lui présenter un boxeur chevronné et bavard, capable de tenir un dialogue avec un philosophe lors d'une rencontre mise en scène. Il ajoute au passage que finalement notre séance photo sur les tribus d'artistes est annulée, sans y ajouter d'explication : « Tu n'hésites pas à donner mon numéro au boxeur, merci Mouss… » J'ai l'impression d'être pris pour une chèvre et n'ai qu'une envie, c'est de sortir ma vieille boite à claques, comme à l'ancienne.

Des pulsions meurtrières traversent mon cerveau. Je choisis de m'emprisonner dans ma chambre de bonne afin de mieux ruminer cet échec. Une télécommande à la main, j'essaie d'oublier en zappant. Sur toutes les chaînes, Michel Drucker fait la promo de son livre. J'éteins et me remets face à mon ordinateur, je n'ai pas d'idée, mais je commence à écrire le titre Ma vie est un bide…Il doit bien exister une édition de la dernière chance.

Mouss Benia.

0 Comments:

Post a Comment

Subscribe to Post Comments [Atom]

<< Home